Après avoir lu l’intégralité du cycle des Rougon-Macquart (ça fait près de trois ans que j’ai terminé déjà !), je n’allais pas m’arrêter en si bon chemin et il fallait bien que je lise d’autres oeuvres de Zola. C’était prévu depuis longtemps, mais comme question lecture j’ai toujours de quoi faire, le moment n’est venu qu’à la fin de l’année dernière.
Mon choix s’est porté sur Vérité, que j’avais trouvé par hasard chez un bouquiniste et que j’avais pris sans hésiter (si on trouve facilement les plus célèbres Rougon-Macquart, les autres oeuvres du maître se croisent moins facilement). Le roman est l’un des tous derniers écrits par l’auteur et s’inscrit dans le cycle des Quatre évangiles, qui fait suite à celui des Trois villes (qui est aussi au programme ^^).
Zola s’est directement inspiré de l’affaire Dreyfus pour raconter l’histoire d’un instituteur juif accusé à tort du viol et du meurtre d’un enfant et qui va passer de nombreuses années au bagne. De nombreuses notes de bas de page font d’ailleurs le parallèle entre les faits et les personnages de l’affaire réeele et ceux de l’affaire fictionnelle.
Si j’ai évidemment tout de suite reconnu le style et l’univers de l’auteur, l’ouvrage est bien différent des Rougon-Macquart. Bon, c’est vrai que chacun des vingt volumes du cycle a des différences avec les autres, mais là, la différence est encore bien plus marquée. Car si on a bien affaire à un roman, l’auteur laisse transparaître son opinion à travers son personnage principal dans de longs « discours » bien différents des longues descriptions auxquelles il nous a habitués avec son grand cycle.
Et c’est passionnant, car on est vraiment transportés à la fin du 19ème siècle, on sent toute la révolte d’un homme contre son pays et la société dans laquelle il vit, contre l’aberration de condamner et recondamner un innocent. Alors qu’il croyait que la société française avait fait des progrès suffisants pour que chacun soit capable de justice et de vérité, les deux grands mots clés de l’ouvrage, l’auteur cherche à comprendre comment les gens, du paysan au fonctionnaire en passant par l’ouvrier, peuvent être encore aveugles au point de ne pas voir l’évidence.
Ce qui les empêche de voir, c’est la religion catholique, encore toute puissante. Elle contrôle les femmes et elle contrôle aussi les enfants, à travers l’éducation. Il existe une véritable guerre entre l’école publique laïque encore toute jeune, et l’école religieuse. Zola se déchaîne véritablement contre le clergé, et j’imagine que cela doit beaucoup choquer les croyants. Pour ma part, je suis fascinée par son discours.
Ce n’est pas l’existence de Dieu qu’il remet en cause, mais la façon dont les hommes exploitent ce Dieu depuis des siècles, la façon dont le clergé garde les fidèles dans l’ignorance et surtout dans la terreur avec l’enfer et les superstitions. A travers quatre générations de femmes, l’auteur illustre ainsi l’asservissement de la femme à l’église, la façon dont elle est diabolisée par les hommes alors qu’elle devrait être la compagne égale de l’homme.
A travers la libération de la femme, Zola nous expose sa vision d’une société nouvelle, débarrassée de la religion et des conflits qu’elle entraîne, basée sur le savoir et sur l’harmonie de la famille. A travers cette vision utopique, on peut voir à quel point l’écrivain avait foi en l’homme. Magré tous les maux qu’il décrit dans tous ses romans, malgré ces malheurs qui se répètent sans cesse, malgré l’injustice, il y a un énorme espoir envers l’avenir et envers l’humanité. Et à partir d’un certain point, cela donne un aspect anticipation tout à fait étonnant et génial au roman. Ce qui m’a marquée aussi, c’est que pour décrire cette société rêvée débarrassée de la religion, l’auteur utilise justement beaucoup de vocabulaire religieux. Rien que le titre du cycle auquel appartient le roman le montre bien.
Et quand on replace tout ça dans son contexte historique, c’est tellement énorme ! A la fois si beau et si cruel, de voir tous ces espoirs, quand on sait tout ce qui s’est passé au 20ème siècle. Alors que l’auteur souhaitait la paix, il y a eu deux guerres mondiales, alors qu’il souhaitait la fin de la persécution des Juifs, il y a eu l’Holocauste. Ca peut paraître vraiment bête, mais j’aimerais vraiment savoir ce qu’un homme comme Zola aurait pensé de tout ça, ou même ce qu’il penserait de la société actuelle.
D’un point de vue historique, la description de la vie des instituteurs et des débuts du système éducatif public et laïc est elle aussi tout à fait passionnante et devrait particulièrement intéresser les professeurs d’aujourd’hui. A travers l’affaire Simon, on a aussi un bon aperçu de la situation politique sous la troisième République. Cela achève de donner à l’ouvrage son extrême richesse.
Tellement de choses à dire sur ce roman, sans parler du déroulement de l’histoire en elle-même ! C’est un peu fouilli et je m’en excuse, mais il fallait absolument que j’en parle. Le mot de la fin, dans un langage très 19ème, c’est que cet auteur est absolument énorme et que ce livre, il troue le cul ! Evidemment, si on n’adhère pas un minimum aux idées de l’auteur, on aura du mal à accrocher. On trouvera ça encore plus chiant que les Rougon-Macquart.
J’ai vraiment hâte de lire les autres tomes du cycle (le dernier, Justice, est resté inachevé) et de replonger dans l’univers de Zola. Pour Noël, je me serais bien fait offir les Trois villes et les Quatre Evangiles en Pléiade, mais ils n’existent pas ! En attendant de me décider à remplacer mes vieux poche par les cinq volumes consacrés aux Rougon-Macquart, celui regroupant les nouvelles me dirait bien !
Commentaires laissés sur l’ancienne version du blog :
Merci pour ce billet qui a été sans doute celui qui a le plus retenu mon attention de tous les blogs, tout sujet confondu, que j’ai lu cette semaine ! (désolée je n’avais pas eu le temps de laisser un commentaire avant)
J’apprécie beaucoup le style de Zola, même si je n’ai jamais lu tous les Rougon-Macquart (chapeau, au passage). Mais plus que tout, je suis une amoureuse du XIXe, une passionnée fascinée par cette époque et l’ébullition à laquelle elle renvoie, autant que par la façon d’écrire que l’on y croise.
Vérité, comme tu le dis si bien, c’est la retranscription d’une période dont il ne reste qu’une poignée d’images d’épinal dans la mémoire collective, mais qui a pourtant une résonance si particulière. C’est un roman profondément conjoncturel, trop peut-être pour s’assurer une place dans notre Panthéon littéraire. Tellement clivant à l’époque. Mais il capte tellement bien l’esprit et le contexte passionné de ces années qui ont clôturé le XIXe et ouvert le XXe siècle. C’est non seulement le trouble jeté par l’affaire Dreyfus, mais c’est surtout la IIIe République dans tout ce qu’elle représente de réforme (éducation) et de mouvances politiques : tout l’anticléricalisme qui marque dans cette oeuvre. Ce discours me fascine aussi. Pour avoir passé presque une année à bosser sur la presse de cette période (et pour d’ailleurs toujours bosser sur des sujets connexes actuellement), on y retrouve vraiment toute la rhétorique classique que l’on croise à cette époque dans les colonnes d’une presse qui est particulièrement virulente et édulcorée. C’est une forme de témoignage.
Je l’ai lu sans doute plus dans une perspective historique que littéraire, mais Vérité est vraiment une oeuvre qui ne peut laisser indifférent et qui amène à réfléchir sur pas mal de choses. Dommage que ce livre n’ait pas eu la reconnaissance à laquelle il aurait quand même pu prétendre.
En tout cas, merci pour cet éclairage passionnant ! (Et pour cette parenthèse au sein de la culture japonaise :P)
Écrit par : Livia | 19.02.2011
Quel plaisir de voir que tu as apprécié cet article et que tu as pris le temps d’écrire ce long commentaire !
Sans avoir fait du tout d’études d’histoire, je suis moi aussi passionnée par le 19ème siècle, et il y a bien des choses que j’aimerais lire sur ce sujet, que ce soit niveau littérature que niveau histoire.
Les ouvrages de Zola; comme ceux d’autres auteurs de l’époque j’imagine, ne prennent que toute leur dimension que si on les replace dans leur contexte, ce qui je pense n’est pas souvent fait quand on les étudie pour le bac de français par exemple, résultat bien des gens trouvent ça rébarbatif. Mais bon, chacun ses affinités, c’est certain !
Merci encore d’avoir apporté ta contribution, et merci aussi pour le retweet ! Cela va m’encourager à continuer à faire des notes qui n’ont rien à voir avec les drama et les anime, je suis vraiment contente de voir que j’ai un public de ce côté-là aussi ^^.
Écrit par : Katzina | 19.02.2011
Je suis tombé sur ton article en cherchant des informations sur « Vérité », car je fais un commentaire sur un extrait (l’accueil qu’on fait à Simon une fois innocenté, après les aveux de Gorgias) dans le cadre d’un cours sur l’affaire Dreyfus. Sans avoir lu le livre, dans le court texte que j’ai sous les yeux, les ressemblances avec l’Affaire (dans laquelle tu sais sûrement à quel point il s’est impliqué) sont frappantes.
Ttu m’as donné envie, d’ailleurs, de lire ce romain 🙂
Écrit par : Esk | 24.05.2011
Ca me fait plaisir d’apprendre que des personnes arrivent ici par le biais de mes billets littérature ! J’espère que tu apprécieras le roman et que ça te donnera envie d’en lire d’autres de l’auteur si tu ne l’as pas déjà fait 🙂
Écrit par : Katzina | 27.05.2011
Si, je le connais déjà, j’avais lu une bonne partie des Rougons-Macquart en lycée et je me rappelle encore la forte impression que m’a laissée Germinal. Je me motive pour m’y remettre au fait 🙂
Écrit par : Esk | 27.05.2011
Oui en effet, j’ai été jeter un oeil à ton blog après avoir répondu à ton commentaire et je me suis dit que ça serait étonnant que tu n’aies pas déjà lu Mimile.
Je suis sûre que je me relirai au moins une fois les Rougon-Macquart, même s’il y a tellement de livres d’autres auteurs, d’autres époques et d’autres pays à lire 🙂
Écrit par : Katzina | 27.05.2011
C’est vrai, ça, il y a autant de livres, et si peu de temps 🙁
Écrit par : Esk | 27.05.2011