Je pensais écrire ce billet pour le cap symbolique de la demi-décennie et puis voilà, comme très souvent, j’ai croisé une petite faille temporelle XD. Au bout du compte, preuve peut-être que j’ai passé un certain cap, ce que j’ai à dire ne sera fondamentalement pas différent de ce que j’aurais pu dire il y a 2 ans, ça sera juste un peu plus complet :). J’ai décoré le tout avec une poignée de clichés choisis assez rapidement mais qui reflètent pas mal ce que j’ai photographié ces 7 dernières années si l’on exclue Messire et la bouffe :D.
J’avais écrit un petit « bilan » au bout de trois ans passés au Japon. A ce moment-là, ma vie avait déjà beaucoup changé par rapport à mon arrivée en 2012, et elle allait bientôt changer bien plus que je l’aurais imaginé avec la naissance de mon fils. Je suis devenue mère au foyer et je ne changerais ça pour rien au monde pour l’instant : élever un enfant, surtout à l’étranger, c’est pas évident. Ajouter le stress du travail ? Si je peux éviter, je le fais ! En France, ça aurait sûrement été différent, pour des raisons économiques autant que culturelles. Au bout du compte, j’utilise un modèle généralement subi à mon avantage :).
Être co-responsable d’une petite vie a fait apparaître ou surtout a confirmé certains points négatifs de la société japonaise. Mais en fait, j’ai surtout appris pour de bon à remettre en question ma propre culture. Et ça, c’est valable pour l’éducation des enfants, la famille et le couple mais aussi pour pas mal d’autres choses qui y sont plus ou moins liées, comme la conception et la place donnée au travail et, comme je vous l’ai déjà raconté un peu, les aspects écologiques et éthiques de la consommation. En fait, toute cette évolution dans ma manière de voir les choses se serait sûrement faite aussi si je vivais toujours dans mon pays natal, mais certainement pas de la même manière. Certainement pas aussi vite sur pas mal de points. Je dois sûrement avoir l’air vague car c’est assez dur à résumer. En gros, quand la France et le Japon sont différents , voire aux deux extrêmes sur un point en particulier et qu’on connait ces différences, c’est plus facile de se rendre compte de ce qui ne va pas, de trouver une voie au milieu, une autre manière de faire ou de voir les choses.
Tatamisée ou blasée ?
Ma relation avec le Japon a encore un peu changé : c’est aussi le pays de mon fils. C’est un défi de faire grandir un enfant bi-national dans une société si particulière, surtout quand elle considère plus que la moyenne que c’est la mère qui est responsable de l’éducation d’un enfant. Si dans les moments où j’en ai un peu ras le bol je ne me gêne pas pour vider mon sac devant mon mari, il n’est pas vraiment question d’en faire autant devant mon fils. Mon mari, il a choisi de se marier avec une étrangère. Mon fils lui, n’a pas choisi sa double identité, et en plus il ne connait pas la France. Je le sais depuis qu’on a décidé d’avoir un enfant, la manière dont ça se passera pour lui à l’école pourra influer sur mon envie de rester au Japon ou pas. Pour l’instant, on n’en est pas là et on a juste le droit aux petits trucs lourdingues comme les gens dans la rue qui s’étonnent qu’il parle bien japonais, ou bien qui lui parlent en anglais. Mais oui je sais, ils sont gentils, ils savent pas, ils sont pleins de bonnes intentions, et sûrement que du haut de ses trois ans le fiston devrait être capable de prendre tout le recul nécessaire :D. En contrepartie, tant que ça n’atteint pas le niveau bête de foire, je ne vais pas me plaindre qu’on dise qu’il est mignon, et c’est touchant de voir surtout les petits vieux sourire en le voyant.
Si être intégrée signifie avoir des amis japonais, dans ce cas je ne suis pas vraiment intégrée. Les interactions sociales me coûtent toujours autant, donc j’ai besoin de pouvoir me « lâcher » rapidement avec les gens et pas d’avoir à me demander ce qu’ils vont penser de moi. Ça ne cadre généralement pas avec les coutumes locales 😀 Avoir des connaissances, des copines, oui, mais devenir vraiment proche, au-delà du cadre dans lequel on a rencontré la personne, ça me parait beaucoup plus compliqué et je trouve ça assez épuisant d’entretenir ce genre de relation sur le long terme. Je ne serai jamais douée à cet exercice de personnalités multiples si on peut dire. Suivant les contextes, suivant les occasions, les personnes peuvent être différentes. Je ne dis pas qu’en France ou ailleurs on se comporte avec son patron comme avec un vieux pote, mais ici le compartimentage est beaucoup plus poussé. Maîtriser l’exercice est sûrement une question d’expérience mais aussi de caractère.
Il y a des choses avec lesquelles je fais, d’autres que j’ai décidé de ne jamais accepter (le fait de remonter bruyamment sa morve et renifler toutes les 20 secondes par exemple – Oh oui pardon c’est vrai c’est culturel, et c’est malpoli de se moucher en public voyons ! XD). Je serai toujours une étrangère, c’est écrit sur ma tête, et quand bien même je prendrais la nationalité japonaise (ce que je ne compte pas faire tant qu’il n’y aura pas de double nationalité), ça ne changerait pas grand chose. Alors autant profiter des bons côtés, jouer du fait qu’on ne s’attend pas à ce que je connaisse les codes quand c’est possible, échapper un peu plus facilement à la pression sociale que les autochtones puisque ça n’étonnera pas que je fasse quelque chose de « bizarre ».
Pas touche au Japon ?
Avant même de venir au Japon, je m’intéressais pas mal au fonctionnement de la société de par ce que j’avais pu lire ou voir, surtout à travers les fictions (car oui, c’est pas la réalité, mais ça reflète généralement tellement de choses !). J’ai toujours essayé de comprendre le pourquoi du comment des faits de société présentés de manière récurrente dans les fictions japonaises, qu’ils soient choquants ou simplement curieux à mes yeux d’Occidentale. Oui, il faut prendre du recul et ne pas tout considérer d’un point de vue supérieur et colonialiste. Pour autant, je ne suis pas d’accord pour se réfugier derrière le « c’est culturel, tu peux pas comprendre tu es étrangère » à tout bout de champ. Parce qu’il y a beaucoup de choses qui blessent les gens même s’ils ne s’en rendent pas forcément compte, et que si l’idée de bonheur et d’épanouissement a certainement une forme différente selon les cultures, je crois qu’il y a quand même dans le fond quelque chose d’universel. A quoi bon toujours faire passer le groupe et la société d’abord à n’importe quel prix ? Au final, ça ne profite pas réellement à tout le monde, juste à une poignée.
Donc oui, je critique, même si je ne suis pas japonaise, justement parce que je ne suis pas japonaise, et ceux qui pensent qui je devrais rentrer chez moi ou qu’à Rome on fait comme les Romains ne sont généralement pas ceux qui dans le fond ont le plus de tolérance et surtout d’empathie. Quand on fait une remarque sur le Japon, ça ne veut pas dire nécessairement qu’on compare à la France, qu’on pense forcément que les Japonais devraient faire comme les Français ou je ne sais quelle autre nationalité. De toute façon, je n’ai jamais eu la prétention d’être représentative du mode de vie ou de pensée français, et il est certain que plus le temps passe moins c’est le cas. Même si on n’est pas japonais, en tant qu’être humain qui vit au Japon on a besoin de pouvoir dire son ressenti sans qu’il soit nié continuellement par un autre résident qui nous explique qu’on n’a rien compris à la culture locale, par un frustré qui ne supporte pas qu’on critique le pays de ses rêves ou par quelqu’un qui nous dira que ce dont on parle, c’est exactement pareil en France (L’ijime ? ben y’en a aussi plein en France ! Les gens à vélo ? Mais tu sais à Paris ils sont super dangereux aussi !)…
En fait, si je pointe si facilement les points négatifs du Japon, c’est parce que j’aime le pays (mais pas les gens hein, je les aime nulle part de toute façon :p) et que j’aimerais que ce qui y est moins bien qu’ailleurs s’améliore. Tout comme j’aimerais que la France s’améliore sur certains points, surtout si je retourne y vivre un jour, et tout comme j’aimerais particulièrement que n’importe quel autre pays s’améliore si j’y vivais et que j’étais confrontée à sa société tous les jours. Si comparaison il y a avec la France ou l’Occident en général, au bout du compte ça va donc dans les deux sens, parce que même si c’est utopique ça serait super d’avoir le meilleur de chaque pays. Que par exemple le Japon garde ce savoir vivre ensemble mais avec plus de flexibilité dans ses règles et en laissant plus de place à l’individu. Et non, ce n’est pas pour ça que la culture japonaise disparaîtrait pour autant.
Si clairement je ne suis pas du côté Japon bisounours (on pourrait dire qu’il s’agit seulement de ceux qui ne connaissent pas le pays mais il y en a aussi qui sont forts pour se mettre des œillères et bien les garder !), je n’ai pas non plus envie de finir du côté des gaijins râleurs qui considèrent par exemple les salarymen comme une espèce à part hautement méprisable, des pauvres demeurés qui font des heures sup au lieu de rentrer chez eux, et je passe la suite. En fait, ce sont aussi souvent les mêmes gaijins qui pensent avoir sauvé leur petite amie/femme japonaise en se mettant avec parce qu’ils sont tellement galants et en ont une plus grosse :p. Oui bon du coup évidemment je ne suis pas un homme donc je ne peux pas voir les choses comme ça. Le pendant féminin pour plus de partialité est pour moi de considérer que les mères japonaises qui restent au foyer manquent sans aucun doute cruellement d’ambition et devraient forcément vouloir une brillante carrière en plus (vous savez ce beau modèle d’avoir tout en même temps si facilement qu’on nous vend si bien en Occident, mais je m’éloigne du sujet…). Mais bon au final, on en revient toujours aux questions famille/couple et travail :).
Je languedepute sur les japonophiles (je parle majoritairement des francophones même si je lis/j’écoute aussi un peu ce qui se dit en anglais), qu’ils soient résidents ou pas, mais globalement la communauté est très intéressante par sa variété, même si au bout du compte je vois ça plus à travers les réseaux sociaux que dans la vraie vie. Il y a plein de personnes très inspirantes qui ont chacune de parcours différents, qu’elles vivent ici, y aient vécu, ou y passent régulièrement. Il y a des gens qui sont arrivés sans connaître la langue et qui ont atteint un niveau largement supérieur au mien. Il y a des gens qui ont réussi à se faire une belle place dans leur univers professionnel de base, il y en a d’autres qui ont dû totalement en changer par choix ou par nécessité, mais il y en a aussi qui galèrent. Parce que oui, parfois, toutes les compétences et la bonne volonté du monde ne suffisent pas si on n’a pas le bon timing et si on ne tombe pas sur les bonnes personnes, ça c’est valable partout mais encore plus quand on vit dans un pays étranger (donc le quelle chance tu as de vivre au Japon ! est à relativiser). Et puis il y a ceux (et même surtout celles) qui font dans leur vie, au niveau professionnel ou pas, quelque chose en rapport avec un aspect typique du Japon pour qui j’ai beaucoup d’admiration. J’aimerais moi aussi me trouver un truc comme ça, qu’il s’agisse d’un aspect très traditionnel ou pas. Mais je ne sais pas si ça arrivera un jour, car ma spécialité c’est justement de ne pas être capable d’être assez à fond dans un truc pour acquérir des connaissances ou compétences pointues… En tout cas, je pense que ça serait quelque chose en rapport avec la musique ou la nourriture ).
Est-ce que j’aime toujours ce qui m’a fait aimer le Japon au départ ?
Si comme je viens de le dire les gens qui vivent ou ont vécu au Japon ont des profils variés, le mien est à la base celui qui est le plus courant, celui du fan de culture populaire japonaise. Enfin ça plutôt, c’est ce qui m’a poussée à apprendre le japonais puis à vouloir venir passer quelque temps sur place, parce que je n’ai jamais eu l’ambition de passer ma vie au Japon. Alors, après sept ans sur place, est-ce que j’en ai marre des japoniaiseries ? Il n’y a qu’à parcourir un peu ce blog pour voir que non, pas du tout ! Même si le temps que j’y consacre est parfois très réduit (en particulier pour les jeux vidéo) et même si la trentaine est plus que fortement entamée, j’apprécie toujours les anime et les drama, et plus que jamais la musique japonaise.
Sept ans au Japon, ça veut aussi dire sept ans à pratiquer (ou pas) la langue locale quotidiennement. Quand je suis arrivée en 2012, ça faisait tout juste 5 ans que j’avais commencé à apprendre le japonais et j’avais un niveau clairement supérieur à l’écrit qu’à l’oral, de par ma formation comme de par mon caractère. Le fait que dès le départ j’aie parlé en français avec mon autochtone (puis même ses parents), que je ne sois pas super sociable comme je l’ai dit, que je n’aie pas eu à beaucoup utiliser la langue quand je travaillais, fait qu’après tout ce temps mon niveau de production orale n’est pas du tout aussi bon que ce qu’il pourrait être (au niveau de la compréhension c’est quand même beaucoup mieux ^^). Mais je suis comme ça, c’est tout, c’est pas par hasard que j’ai étudié la traduction et que je n’ai jamais pensé une seconde à être interprète !
Le principal, c’est que j’aime toujours autant la langue japonaise. J’aimerais trouver une manière d’approfondir mes connaissances en la matière et de me replonger dans les kanjis autrement qu’avec des exercices type bachotage pour le JLPT. Comme je ne pratique pas assez l’écriture manuscrite (tout comme tant de natifs de la langue), j’ai un mal de chien à me souvenir de l’écriture de beaucoup trop de kanjis. Pour la lecture c’est mieux, mais il y en a quand même certains pour lesquels j’ai l’impression que ça ne me rentrera jamais dans le crâne. Et c’est aussi pour ça que c’est dur niveau production orale. Il y a tout un tas de vocabulaire, notamment les composés en on-yomi ou des impressifs, si je les entends ou je les lis je comprends, mais toujours pas moyen qu’ils me viennent à l’esprit quand il s’agit de les utiliser dans la conversation.
Sept ans au Japon, sept ans à Tokyo
En 2012, j’ai décidé de prendre Tokyo comme premier point de chute de mon working holiday parce que c’est la ville que je connaissais le mieux et c’est celle où je pensais pouvoir trouver le plus facilement du travail. J’y suis restée vu que mon autochtone est un Edokko qui n’avait pas de raison particulière d’aller travailler ailleurs au Japon (ses années d’étude à Kyôto n’ont apparemment pas réussi à le convaincre :D). Parfois je me dis que j’aimerais bien vivre dans une ville plus petite avec un rythme de vie plus tranquille, un endroit où on perd moins de temps dans les transports et où on n’hésite moins à sortir pour un feu d’artifice ou autre festival parce qu’on sait qu’on n’aura pas le courage de se taper la foule et toute l’attente qui va avec au retour. Mais ça voudrait dire moins d’opportunités pour moi le jour où je reprends une activité pro si l’on considère un travail salarié classique, et aussi moins d’alternatives question éducation, voire même aucune. Et puis vu que l’homme est en bons termes avec sa famille, ça serait aussi dommage de s’en éloigner alors qu’on est déjà si loin de la mienne. Donc je ne sais pas si j’irai un jour cultiver des céleris-raves à Hokkaidô ou des artichauts à Shikoku, mais je sais que je suis attachée à Tokyo, que l’on parle du coeur de l’agglomération avec ses 23 arrondissements ou du très grand Tokyo avec les départements limitrophes.
Je reste fascinée par la structure de la ville avec ses centres multiples, ses quartiers structurés autour des gares, son réseau de transport, surtout le ferré, par la manière si rapide qu’elle peut avoir de changer. Qu’il s’agisse des grands projets urbains dans les quartiers centraux ou des constructions plus anecdotiques autour de chez moi, en sept ans j’ai vu tellement de bâtiments disparaître et d’autres apparaître à la place ! Si clairement dans certains cas cette frénésie de destruction/reconstruction laisse au mieux dubitatif, le sujet est aussi complexe qu’intéressant et ma vision du patrimoine construit, qui reste celle d’une profane, a pas mal évolué par rapport à quand je ne connaissais que les vieilles pierres françaises.
Vivre dans la mégalopole tokyoïte a eu pour effet d’accélérer cette sorte de dégoût que j’ai maintenant pour les excès de la société de consommation. S’il reste un poil de fascination pour certains aspects du marketing, j’ai l’impression que la course effrénée à la vente atteint de plus en plus des sommets de ridicule, de saturation, de toujours plus, de jamais assez, de création de besoins inutiles, le tout dans un cadre légal plus laxiste en défaveur des consommateurs. C’est particulièrement le cas dans le domaine alimentaire, et j’ai réalisé à quel point on était par exemple conditionné par les éditions de saison, versions spéciales limitées pour je ne sais quelle raison qui poussent à consommer mais surtout amènent à ne jamais être satisfaits, à vouloir toujours plus, toujours quelque chose de différent. Mais au bout du compte, si on s’en fiche de la version normale du produit, c’est peut-être qu’il est pas intéressant à la base ? :D. Je dis ça tout en étant toujours à l’affût d’un bon taiyaki, mais franchement, entre le boom du tapioca et celui des boissons transparentes, il y a de quoi sérieusement réfléchir.
Je suis aussi de plus en plus mal à l’aise devant la profusion de marques de luxe, dans certains quartiers même où je vais très rarement, et dans les grands magasins en général. Dans ces derniers, je reste plus intéressée par l’étage de bouffe, même si là encore c’est en grande partie des omiyage super chers. Toujours la profusion, partout. Quand on voit tout ça, on a du mal à croire que la consommation du pays est en berne ! L’effet mégalopole déforme tout, c’est pareil pour le taux de natalité : quand on va dans les parcs ou les quartiers commerciaux il y a tellement d’enfants que c’est dur de croire que le Japon perd de la population !
Pour en finir sur le sujet de la consommation dans mon bilan il y a quatre ans j’avais partagé mon impression de toujours avoir la main au porte-monnaie. Cette impression était apparemment souvent partagée par d’autres résidents, et souvent liée au fait de payer tout ou presque en liquide. Au bout de 7 ans au Japon, perso ça me gave toujours autant de ne pas pouvoir payer plus en carte et ça m’arrive encore de me retrouver à court de liquide. La situation a évolué avec les cartes débit et le cashless, je développerai pas ici car c’est pas le sujet mais le deuxième point me laisse très dubitative, c’est assez le bordel pour l’instant je trouve. En tout cas, mon mode de vie a pas mal changé et je me suis encore plus déconnectée des habitudes que je pouvais avoir en France donc cette impression de toujours dépenser n’est plus trop présente au quotidien.
Voir le Japon
Après sept ans, il me reste encore énormément de choses à découvrir à Tokyo, et encore plus dans le reste du pays. Qu’il s’agisse des sorties d’une journée dans la capitale, des weekends avec une nuit sur place quelque part dans le Kantô ou bien de voyages de quelques jours dans des coins plus éloignés, je ne me lasse pas de voir le Japon. Surtout les petites villes et les campagnes, pour toujours garder à l’esprit que le pays ne se résume pas à ses mégalopoles. En tant que résident, on ne peut pas voyager de la même manière que les résidents étrangers. C’est dur d’avoir beaucoup de congés à la suite et si on arrive à en avoir on préfère souvent en profiter pour rentrer en France. Il y a encore énormément d’endroits au Japon que je ne connais pas, à commencer par Kyûshû et Shikoku. C’est pas l’envie qui manque, mais plus c’est loin moins ça vaut le coup pour un voyage court. Et puis c’est aussi très frustrant d’aller dans une région si riche que le Kansai pour seulement quelques jours, on ne sait pas par où commencer ! En fait, il y a beaucoup de lieux où je suis déjà allée et où j’aimerais retourner tellement j’ai aimé. C’est un peu comme pour les séries et les livres que j’adore revoir ou relire en fait ^^. Je compte bien continuer à explorer le Kantô car il y a tellement de petits coins sympa à Saitama, Kanagawa, Chiba ou Ibaraki. J’ai tellement hâte dans les prochaines années de découvrir de nouveaux paysages de montagnes, de littoral, de lacs ou de rivières. De nouveaux temples et sanctuaires, isolés ou mêlés à la jungle urbaine. En parallèle à la langue j’aurais envie aussi de me replonger un peu dans l’histoire du pays sous toutes ses formes et acquérir plus de connaissances sur le bouddhisme et le shinto.
Être loin de son pays d’origine
En mettant à part le fait que le Japon est un pays qui est très différent du mien et de beaucoup d’autres, il y a aussi tout simplement le fait qu’il est loin et que ça prend du temps (même avec les moyens modernes) et de l’argent de retourner en France. Je n’ai franchement pas à me plaindre vu que pour l’instant j’ai pu rentrer en moyenne tous les un an et demi. En faisant moins de voyages au Japon, j’aurais pu même techniquement rentrer plus souvent mais le voyage me coûte beaucoup, et j’ai la chance que ma famille ait pu venir plusieurs fois. Parce que oui, on en vient à l’essentiel : la France, elle ne me manque pas, la famille, oui. Je ne m’imagine pas du tout aller vivre en France, il me faudrait vraiment des données précises sur les conditions pour que je puisse me projeter un peu. En 2012, avant de partir pour mon working holiday, je sortais des études (parcours à rallonge certes), j’étais célibataire et sans enfant. Je ne sais pas du tout ce que ça donnerait de vivre en famille en France, et où d’abord ? A Paris, parce que ça serait certainement là qu’il y aurait du travail pour l’autochtone ? Je ne m’y vois pas du tout et cette constatation est assez problématique parce que si un jour je ne veux vraiment plus vivre au Japon, je fais quoi ?
Sept ans, ce n’est pas grand chose peut-être. Surtout que ce n’est pas comme avant l’Internet, on peut avoir des nouvelles instantanément, autant sur ce qui se passe dans le pays que dans la vie de ses proches. Malgré ça, je vois bien que je me suis déconnectée petit à petit et c’est vraiment déconcertant car au final j’ai un peu l’impression d’avoir le cul entre deux chaises et que c’est un peu irréversible. Les choses changent en France pendant que je ne suis pas là, au niveau de la société et au niveau de mon entourage personnel. Je téléphone toutes les semaines à mes parents, je prends régulièrement des nouvelles de mes soeurs, mais ça ne pourra jamais être pareil que se voir tous les deux ou trois mois par exemple, ou de pouvoir s’appeler un peu n’importe quand sans devoir tout le temps penser au décalage horaire.
Les gens changent, grandissent, vieillissent, les lieux changent et « disparaissent » aussi. Si je me sens déconnectée, c’est aussi parce que beaucoup des lieux d’attache que j’avais en France ne font plus partie de la vie de ma famille là-bas. C’est un processus qui avait commencé quand même quelques années avant que je parte, quand mes parents ont pris leur retraite et ont quitté la maison et le village où j’ai grandi. Puis c’est la maison de mes grands-parents paternels qui a été vendue, l’appartement à Rouen où j’ai vécu en tout 8 ans, la maison de mes grands-parents maternels… Même ma deuxième soeur a changé de maison ! Du coup, la maison où mes parents sont depuis fin 2006 est donc devenu mon lieu d’attache le plus « ancien ».
Je ne m’étais probablement jamais posé énormément de questions sur la société française avant de venir au Japon. J’avais déjà vécu un peu à l’étranger mais sûrement pas assez longtemps, et dans des pays moins différents. Il se passe énormément de choses ces dernières années et si j’essaie de suivre parfois je me sens plutôt perdue. Je pourrais chercher à savoir et comprendre encore plus, mais je n’arrive plus à passer outre cette impression de voir les choses depuis l’extérieur alors que je reste concernée vu que c’est mon pays et que ma famille y est. Et on peut dire que c’est triste et même affligeant, mais je comprends en quelque sorte les Japonais qui ont peur du terrorisme. Le problème, c’est que pour la majorité ils n’ont pas les données nécessaires pour comprendre correctement le sujet. Mais le résultat, le fait de voir ça de l’extérieur et de se dire que ça fait peur, je comprends totalement. Quand on doit le vivre au quotidien, on n’a pas vraiment le choix de s’adapter, quand ce n’est pas le cas on voit les choses différemment. Un peu comme certains n’imagineraient pas vivre dans un pays qui peut être secoué à tout moment par un énorme séisme, ou dans une ville au pied d’un volcan en activité. Sur le même ordre d’idée, j’avais dit il y a déjà presque 6 ans en rentrant de notre voyage à Chicago que l’idée d’être dans un pays où le port d’arme à feu était légal me paraissait encore plus effrayant et WTF.
Qu’est-ce qui me manquerait le plus ?
Ca fait longtemps que je compte faire un article sur les trucs que j’aime le plus au Japon, et un aussi pour bitcher sur ce qui m’énerve au quotidien. En attendant, je profite de ce bilan pour mentionner à nouveau rapidement ce qui me plait toujours sept ans après être arrivée.
J’en parlais juste au-dessus et c’est quelque chose de cité assez unanimement par les étrangers : le Japon est un pays sûr pour les personnes et pour les biens dans la plupart des circonstances et ce n’est pas notre petit cambriolage qui m’a fait changé d’avis. On parle toujours des iPhone pour réserver une table dans un café, depuis qu’on a une maison je me rends compte aussi que ça veut dire pouvoir laisser des choses devant chez soi avec un accès direct sur la rue sans rien craindre. Et puis c’est un peu une révélation quand on se rend compte à quel point cette manière de culpabiliser la victime qui prévaut en France et dans tant d’autres pays est pourrie. On part du principe que le vol est une chose normale et que c’est de notre faute d’avoir laissé traîner nos affaires…
Le Japon est aussi vanté pour ses côtés pratiques, et ça je ne peux pas le nier même s’il faut faire le constat que tout est un peu à double tranchant. Les konbini et magasins ouverts H24, les services de livraison, de réparation super performants dimanches compris, les restaurants pas chers, les toilettes propres et nombreuses, tout ça ça veut dire des gens qui font un travail pénible et mal payé.
Je peux dire aujourd’hui que question bouffe française, il n’y a vraiment pas grand chose qui me manque au quotidien (quelques fruits et légumes seulement). Par contre, même si je ne mange pas japonais à tous les repas non plus, je pense qu’en dehors du Japon la cuisine locale me manquerait énormément. J’ai tellement de plaisir à découvrir encore de nouveaux ingrédients et de nouvelles saveurs, que ça soit dans la cuisine de tous les jours ou la cuisine plus festive, et j’ai tellement de satisfaction à être capable de préparer des plats de base moi-même !
J’ai tellement pris goût à pouvoir aller voir régulièrement mes artistes préférés en concert que ça serait très dur de ne plus pouvoir le faire. Evidemment, si un jour on doit partir pour de bon, ça n’est pas ça qui justifierait de changer de décision, mais ça compte énormément pour moi. Et pour ça aussi, tout comme pour les événements culturels en général, il faut être dans une grande ville pour en profiter un maximum. Il y a des artistes qui font des tournées dans plusieurs dizaines de villes différentes, mais pour d’autres c’est en gros Tokyo et Osaka, auxquelles peuvent s’ajouter Nagoya puis Fukuoka.
Ce que j’aime au Japon, c’est que je m’en fiche de la manière dont je suis habillée, et maintenant aussi totalement de ne pas être maquillée. Il y a pas mal de facteurs qui expliquent ça. Je profite totalement du fait de n’avoir actuellement dans ma vie à peu près aucune situation où les conventions exigent une certaine apparence (école, travail etc). On peut dire que les Japonais et Japonaises portent un peu de toute et parfois n’importe comment (surtout aux pieds), et clairement moi si je me fais remarquer ce sera sûrement juste parce que j’ai les cheveux et la peau plus claire que les locaux et que je suis plus grande que la moyenne, pas vraiment parce que je porte tel ou tel truc. Parce qu’en tant qu’étranger non asiatique on est forcément hors norme d’une manière ou d’une autre pour l’apparence physique (et ça peut se ressentir pas mal quand il s’agit de se trouver des vêtements :D). Et puis faut pas se leurrer, en plus de tout ça il y a aussi le fait que je ne sois plus « sur le marché » et qu’aux yeux de pas mal je ne suis plus jeune ^^.
Je comprends que certaines personnes trouvent les Japonais (du moins les Tokyoïtes) trop froids, mais moi au bout du compte j’apprécie cette distance dans les espaces publics. Et pour citer encore une fois les Etats-Unis, je sais pas si je pourrais gérer au quotidien les how are you? d’inconnus quand j’ai absolument pas envie de communiquer. D’une certaine manière, on pourrait penser que je me complique vachement la vie à avoir décidé de vivre à l’étranger et d’ajouter une barrière culturelle et linguistique dans une certaine mesure alors que je suis hyper pas douée pour les interactions sociales. Mais en fait, ça me donne en quelque sorte une excuse. C’est normal si je ne suis pas totalement adaptée, c’est normal si c’est dur, ce n’est pas mon pays. Alors que ressentir ça dans son propre pays, dans sa propre ville même, ce n’est pas franchement agréable.
Le Japon, pour toute la vie ?
On me demande souvent quand on sait que mon mari est japonais si je vais passer le reste de ma vie au Japon. Même si je viens de dire que je ne me voyais pas en France actuellement, preuve au bout du compte aussi que je suis bien ici, on ne peut jurer de rien. Certaines choses vont changer avec le temps et pèseront plus ou moins dans la balance. Comme je l’ai dit plus haut, la priorité pour les prochaines années c’est de voir comment ça se passe pour le petit monstre question éducation. Je redoute aussi pas mal le moment où mes parents seront trop âgés pour venir nous voir. Sur un plan plus « collectif » que personnel, je crains qu’avec sa résistance au changement si particulière le Japon continue d’être à la traîne sur pas mal de plans , à commencer par la consommation responsable et la lutte contre le réchauffement climatique et je sais que ça va me peser de plus en plus de voir d’autres pays avancer et pas lui. Si on parle politique pure c’est pas non plus la joie évidemment. On n’exclue toujours pas d’aller essayer de vivre dans un autre pays pour un temps, mais ce n’est pas quelque chose qu’on recherche activement, il faudrait qu’il y ait une occasion concrète qui arrive avec le travail de l’autochtone pour qu’on considère ça sérieusement. De mon côté, j’ai du mal à me projeter tant que je n’ai pas d’activité professionnelle, et ça ne changera pas tout de suite pour ça vu qu’actuellement l’agenda prévoit plutôt d’essayer d’agrandir la famille. Le Japon, pour combien de temps je ne sais toujours pas, mais pour quelque temps c’est certain !
Katzina, tu es née la même année de mon premier enfant.
Tu as déjà un enfant et tu viens de faire un bilan de ta vie incroyable de lucidité.
De quoi sera-t-il fait ton avenir? Dans 7 ans, nous le diras-tu?
Tu te poses beaucoup de questions à juste titre. Les réponses, tu les auras au fur et à mesure, comme nous tous. Ces jours-ci, je me suis entendue dire: « regardant en arrière, quel chemin parcouru ! » S’expatrier a un prix.
Déracinés, nous apprenons à vivre ainsi, nous accommodant au mieux et en cherchant un sens à nos choix pour ne pas trop en souffrir. Ceux qui ne sont jamais partis, pourront-ils comprendre? Tu es forte dans ta capacité à chercher ce sens nécessaire et vital. Tu connais parfaitement ce que tu ne veux pas. C’est important. E comme dans la vie, nous sommes tous interdépendants, qu’on le veuille ou pas, l’intelligence et la sagesse se charge de nous faire retrouver l’équilibre nécessaire à notre épanouissement personnel et le bien être de nos proches.
J’ai l’intime conviction qu’il y a un temps pour chaque chose dans notre vie. Nous pouvons passer à côté ou bien être prêts à le faire.
Bravo pour avoir osé faire ce bilan des 7 ans passés au Japon ! Je t’en remercie.Tâche d’être heureuse et prendre du plaisir chaque jour.
ฅ(=^-ω-^=)ฅ*❀*•.¸¸♪ Tes photos sont magnifiques !
Oh là là je m’aperçois seulement maintenant que je n’avais pas répondu, où avais-je la tête encore ???
Un énorme merci pour ce message comme toujours si bienveillant :).
Très intéressant ton article.
Je pense que quelque soit le pays, il y a du positif comme du négatif. Il faut trouver un juste milieu entre sa culture et la culture du pays qui nous accueille. C’est la clé pour se sentir épanouie.
Merci pour ces belles photos (j’adore les petites boutiques ou restaurant de quartier), à bientôt!
Effectivement, le pays des bisounours si ça existait on le saurait !
Par exemple, les pays scandinaves sont toujours vantés, et clairement leur qualité de vie est enviable sur bien des points, mais il y a forcément des contreparties, ne serait-ce que la durée d’ensoleillement en hiver et le fait qu’on reste tout de même étranger, même si l’intégration est sûrement plus simple que dans un pays comme le Japon !