Titre japonais : エール
Nombre d’épisodes : 120
Diffusion : Printemps – Eté 2020
Chaîne de diffusion : NHK
Fiche : DramaWiki
Après le très bon Scarlet, la NHK a décidé de nous proposer pour le printemps 2020 un nouvel asadora historique basé sur un personnage réel. Jusque là, rien d’original vu que c’est sur ce schéma que se basent la majorité des feuilletons du matin de ces 10 ou 15 dernières années. Mais comme Massan cinq ou six ans avant lui, Yell aurait la particularité de faire partie de la poignée d’asadora dont le personnage principal n’est pas une femme mais un homme. D’un côté je me suis dit qu’on en voit assez dans les taiga des bonhommes, mais en même temps si un personnage historique se prête bien au schéma asadora, ça serait dommage de s’en priver. Surtout si l’on choisit un acteur comme Kubota Masataka et le thème de la musique !
Koyama Yuichi nait en 1909 à Fukushima dans une famille de marchands de kimono. S’il va s’intéresser très tôt à la musique, faire de la composition son métier va longtemps sembler un rêve irréalisable. La route jusqu’au succès sera longue, et même une fois la reconnaissance venue Yuichi devra traverser de dures épreuves. Dès le début du drama, nous suivons en parallèle la vie d’Oto, une jeune fille originaire de Shizuoka qui souhaite devenir cantatrice. La musique va lier son destin à celui de Yuichi et elle va devenir son soutien le plus précieux.
La vie du personnage de Yuichi est inspirée par celle du prolifique compositeur Koseki Yûji (1909-1989), qui comme j’ai pu l’apprendre a officié dans différents genres et dont certaines compositions peuvent être encore entendues régulièrement aujourd’hui (surtout pour les fans d’un certain sport, je n’en dirai pas plus !). Dans l’enfance, Yuichi est un garçon sensible et timide pour qui la musique devient un refuge. Une fois adulte, il restera assez loin des stéréotypes de virilité et toujours un peu dans sa bulle. S’il va tenter de suivre le chemin souhaité par sa famille, il se sent comme un imposteur et ne se sent vivant qu’avec la musique.. Kubota Masataka exprime cette fragilité de manière très touchante et rend tout de suite son personnage attachant.
Yuichi entretient une bonne relation avec son père, Saburo, qui penche plus du côté bienveillant que du côté autoritaire, heureusement pour lui. J’ai eu pas mal de sympathie pour le personnage, et le fait qu’il soit joué par Karasawa Toshiaki n’y est pas tout à fait pour rien. J’ai eu un peu plus de mal à cerner la mère de Yuichi, Masa (Kikuchi Momoko), même si je comprends qu’elle se soit retrouvée dans une situation délicate par rapport à son frère aîné. Le frère aîné en question, qui gère la banque fondée par leur père, n’est pas commode. C’était la troisième fois que je voyais Kazama Morio dans un asadora après Gegege no nyobo et Massan et il sait faire aussi les gars pas sympa en fait :D. La partie de l’histoire qui se passe à la banque de tonton n’est pas ailleurs pas la plus réussie, même s’il y a deux acteurs que j’aime bien voir dans des rôles secondaires. En fait, on sait juste que ça ne va pas durer et qu’on ne reverra pas les personnages donc on a du mal à s’investir dans ce qui se passe.
Yuichi a un frère cadet, Kôji. Celui-ci va trouver que ses parents sont un peu trop complaisants avec les caprices de son frère à vouloir faire de la musique et ne va pas vraiment se montrer encourageant. C’est un gros euphémisme. Si on peut comprendre qu’il soit dans une situation délicate car les choix de vie de son frère vont avoir des conséquences sur la famille et sur son propre avenir, on a franchement aucune empathie pour lui tellement il est juste méchant et jaloux comme un pou. Et la moue boudeuse quasi omniprésente sur le visage de Sakumoto Takuma n’arrange pas les choses.
J’avais beaucoup aimé Nikaido Fumi dans Woman ou Mondai ga aru restaurant et j’étais bien contente à l’idée de la voir partager l’affiche d’un asadora. Sekiuchi Oto (qui porte bien son prénom car il signifie son et s’écrit avec le premier des deux signes qui composent le mot musique en japonais) est une jeune femme déterminée, plutôt directe et optimiste dont le caractère contraste beaucoup avec celui de Yuichi. Elle admire la cantatrice Futaura Tamaki (Shibasaki Kou) et ambitionne de faire du chant son métier. C’est un peu impossible de parler de son parcours sans vraiment spoiler, alors je dirai juste que même si le regard est un peu trop contemporain comme c’est presque toujours le cas dans les asadora d’époque, les femmes ne peuvent pas faire pareil que les hommes au niveau professionnel, même dans le milieu artistique.
Petit entracte sinogrammes qui n’apportera rien pour décider si cette série est faite pour vous ou pas, mais je ne peux m’empêcher de partager la petite découverte faite en vérifiant les noms de famille des personnes réelles ayant inspiré les personnages de Yuichi et Oto : dans la réalité, le compositeur s’appelait donc Koseki (小関), et le nom de naissance de son épouse était Uchiyama (内山). Dans la fiction, ils deviennent Koyama (小山) et Sekiuchi (関内). On a donc au final les quatre mêmes sinogrammes mais combinés de manière différente :). Il y a presque toujours des similitudes dans les noms et prénoms quand les personnages d’asadora ne sont pas purement fictionnels, mais cette fois c’est particulièrement évident !
En intro je disais que Yell était un asadora avec un personnage principal masculin, dans le sens où le scénario est basé sur une histoire réelle où le personnage célèbre était l’homme et pas sa femme. C’était déjà le cas dans Manpuku où le choix avait été fait de mettre en avant non pas le créateur des ramen instantanés mais son épouse. C’était aussi en gros le cas pour le pionnier du whisky de Massan. Mais cette fois, comme l’affiche le suggère déjà on peut presque considérer que c’est le couple formé par Yuichi et Oto qui est le personnage principal. Et ce couple, il est tout de suite attachant et même si on se doute que son histoire est un peu plus romancée que celle de ses modèles réels on se prend bien au jeu. Enfin plus romancée, pas sur tous les points en tout cas car pour ce qui est de leur rencontre assez particulière il semblerait que ce qui est montré dans la fiction s’est bien passé dans la réalité. J’ai beaucoup aimé dans leur quotidien des petits détails comme se chamailler parce que l’un n’aime pas le hatchô miso (typique de la région de Hamamatsu) et que l’autre est écoeurée par le nattô (plutôt consommé dans le Kantô et le Tôhoku où se trouve Fukushima).
J’ai beaucoup aimé les Sekiuchi, la famille d’Oto, qui habite à Toyohashi dans le département d’Aichi. Son père Yasutaka (Mitsuishi Ken) dirige un atelier qui fabrique du matériel équestre principalement destiné à l’armée. La question du lien avec la guerre mais aussi du déclin d’une telle activité vont se poser. La mère d’Oto, Mitsuko, est jouée par Yakushimaru Hiroko que j’étais bien contente de revoir, avec un rôle simple mais qui change de l’univers de Kudô Kankurô où je l’ai pas mal vue. La soeur aînée d’Oto, Gin (Matsui Rena) ne veut surtout pas sortir des sentiers battus comme ses soeurs et cherche avant tout un bon parti pour se marier. La benjamine de la famille, Ume (Mori Nana, revue par la suite dans l’excellent Makanai), va quant à elle se passionner pour la littérature et l’écriture.
Satô Hisashi et Murano Tetsuo sont deux des personnages secondaires clé de Yell. Je n’avais vu Yamazaki Ikusaburo que dans un seul drama avant (Otou-san to yobasete) mais je l’ai tout de suite reconnu et je l’ai trouvé cette fois encore très chouette dans le rôle de Hisashi. Sa manière de faire le beau gosse sans trop se prendre au sérieux fonctionne tellement bien ! J’ai également beaucoup apprécié Nakamura Aoi dans le rôle de Tetsuo. Les deux jeunes hommes forment avec Yuichi un trio d’amis vraiment sympa qui n’a rien à envier aux groupes féminins ou mixtes que l’on retrouve habituellement quand le personnage principal d’un asadora est une jeune femme.
Tôdô (joué par le chanteur Moriyama Naotaro), un des professeurs de primaire de Yuichi, va l’encourager à suivre la voie de la musique et va jouer aussi un rôle important auprès de certains de ses camarades de classe, restant une figure importante même arrivés à l’âge adulte. Du côté d’Oto, c’est son professeur de chant Mitarai (Furukawa Yûta) qui va jouer un rôle particulier dans son parcours. Manifestement efféminé, il représente aussi une masculinité différente de la norme et il en a beaucoup souffert dès l’enfance. Même si c’était compliqué par rapport à l’histoire des personnages principaux, j’aurais bien aimé que ce personnage soit encore plus développé.
Dans presque tous les asadora, il y a un lieu où les personnages se réunissent régulièrement. Dans Yell, c’est le Cafe Bamboo qui tient cette fonction. Il est tenu par le couple Katori (Naka Riisa et Nomaguchi Tooru) et je dois avouer que j’ai pas mal oublié leur histoire et leurs interventions. Ce qui veut donc dire que le Cafe Bamboo n’est pas le meilleur lieu de rencontre de tous les asadora, mais il n’y a pas non plus de gros points négatifs de ce côté.
Yell nous permet d’avoir un bon petit aperçu de l’industrie musicale au Japon dans l’avant et l’après-guerre, notamment à travers la maison de disques Colombus (vous aurez remarqué qu’il faut juste changer les deux dernières lettres pour savoir le nom de la vraie maison de disques prise pour modèle, dont l’un des personnages clé est Hatsukaichi, interprété par Furuta Arata. Le compositeur star de Colombus est Oyamada Kôzô, personnage inspiré de Yamada Kôsaku, chef d’orchestre et compositeur connu notamment pour un grand classique des chansons d’enfants japonaises, Akatombo. Le rôle est tenu par Shimura Ken, célèbre humoriste qui jouait pour la première fois dans un drama et aussi pour la dernière vu qu’il est mort du covid durant la première vague de la pandémie. Yuichi est un grand admirateur d’Oyamada depuis son enfance et semble espérer qu’il devienne son mentor mais les choses vont se passer assez différemment. Il y a un autre non-habitué des drama chez Columbus : Noda Yôjiro, le chanteur des Radwimps, joue Kogarashi, personnage inspiré par Koga Masao (qui a composé pour beaucoup d’artistes de l’ère Shôwa dont Misora Hibari).
Yuichi va composer pour différents genres, aussi bien des instrumentaux que des chansons dont les paroles seront écrites par une autre personne et qui sera chantée par encore une autre personne. Cette séparation compositeur / parolier / interprète semblait être la norme à ce moment, ce n’est pas comme si ça n’existe plus du tout aujourd’hui mais il me semble que c’est quand même réservé à des styles particuliers.
Avec la montée du militarisme puis la guerre va se poser la question de la collaboration des artistes avec les autorités. Yuichi va faire partie de ceux qui vont composer pour l’armée des marches militaires qui vont être dotées de paroles fleurant bon la propagande. Le fait d’avoir cette fois un personnage masculin dans le rôle principal permet aussi d’aborder cette période clé de la guerre vue dans quasi tous les asadora d’époque sous un angle un peu différent. J’ai trouvé que la manière de montrer le contraste entre les beaux discours patriotiques (on va gagner, l’honneur de servir son pays, la noble cause toussa) et la réalité de l’horreur du front était franchement réussi, avec un épisode en particulier qui est très éprouvant.
Même si cela n’est pas non plus au premier plan, le drama aborde un aspect de la guerre que je n’avais jamais vu mentionné dans une autre production se situant à cette époque : à travers la famille d’Oto, on nous montre que les familles chrétiennes étaient surveillées. Même si on ne nous dit pas les détails je crois, il semble évident que c’est parce que leur confession qui excluait la religion shinto mettait en doute leur loyauté envers l’empereur et la patrie, et devait aussi être vue comme la religion de l’ennemi (même si j’avoue, je ne sais plus de quelle branche du christianisme il était question).
Yell ayant été diffusé à partir du printemps 2020, sa production a rapidement été perturbée par la pandémie. Le tournage a été arrêté et fin juin, tous les épisodes tournés avaient été diffusés. Je ne crois pas trop m’avancer en disant que c’était la première fois que ça arrivait dans l’histoire des asadora. Après la diffusion de quelques épisodes spéciaux parfois assez barrés tournés il me semble dans des conditions particulières, le drama a été rediffusé depuis le début en attendant que la suite puisse être tournée. Si je me souviens bien, des commentaires des acteurs ont été ajoutés pour consoler les spectateurs. Je dois avouer que même si j’appréciais la série j’ai préféré regarder autre chose pendant cette pause qui au final a duré deux mois et demi, jusqu’à la mi-septembre presque.
Lorsque le drama a pu reprendre son cours, cela s’est fait avec un rythme différent : des six épisodes hebdomadaires on est passé à cinq du lundi au vendredi. Plus de vrai épisode le samedi matin, seulement le récapitulatif de la semaine diffusé auparavant le dimanche. Au final, Yell s’est terminé fin novembre, soit deux mois plus tard que d’habitude pour l’asadora printemps/été, et n’a compté que 120 épisodes alors qu’il aurait dû logiquement en avoir 156. Donc l’équivalent de 20 semaines de diffusion à 6 épisodes au lieu de 26 semaines. Et ce raccourcissement imprévu s’est fait ressentir dans les dernières semaines de la série je trouve. J’ai eu l’impression que l’histoire des personnages secondaires comme Tetsuo ou Hisashi était un peu laissée de côté pour pouvoir arriver à temps au moment clé de la vie de Yuichi qu’on aperçoit au tout début de la série, moment qui lui-même perd un peu de son intensité avec les ellipses. J’ai eu l’impression qu’on loupait des choses aussi à propos de la mère d’Oto. Mais vu les conditions particulières ça me semblerait injuste que cela pèse trop dans l’appréciation finale du drama, ce n’est pas non plus comme si les scénaristes avaient fait n’importe quoi depuis le début.
En octobre 2020, la NHK a organisé un concert où les principaux acteurs et actrices de Yell interprètent les plus célèbres composition de Koseki Yûji. C’est un petit concentré de 15 minutes de ce concert qui sert d’ultime épisode au drama. Comme il y a pas mal de monde dans le cast qui a aussi une casquette de chanteur/chanteuse j’ai trouvé ça plutôt chouette et original pour marquer la fin de cette production perturbée par la pandémie.
L’OST de Yell a été composé par Segawa Eishi, que je connaissais principalement pour son travail dans l’excellent Saikou no rikon (super, j’ai réussi à caser les noms de 3 drama de Sakamoto Yûji dans ce billet :D). Quatre ans après la diffusion du drama je dois dire que je ne me souviens pas du tout des musiques et je n’ai rien trouvé en ligne pour me rafraîchir un peu la mémoire. Mais je peux au moins dire que si ça avait été plus mauvais que la moyenne je m’en souviendrais :D. En plus des musiques originales, on peu entendre quelques unes des compositions emblématiques de Koseki Yûji (on change les noms mais on prend quand même la vraie musique :D) et de ses contemporains, ce qui nous met bien dans l’ambiance Shôwa.
Quand j’ai su que la chanson thème de l’asadora avait été confiée à GReeeeN, je ne m’attendais pas à l’aimer particulièrement et effectivement elle ne rentrera pas dans mon top. C’est un peu dommage pour un asadora dont le thème principal est la musique mais il y a tellement eu de bonnes chansons d’asadora avant et depuis. Et surtout, j’ai compris récemment pourquoi ce groupe avait été choisi plutôt qu’un autre : Les GReeeeN (oui avec quatre E, pas un de plus pas un de moins ^^) sont originaires du département de Fukushima, tout comme Koseki et son homologue feuilletonesque Koyama. Grâce à Messire, j’ai appris qu’une de leurs chansons était utilisée au départ du Shinkansen à Kooriyama, leur ville natale. Et à la gare de Fukushima ville, qui englobe maintenant le lieu où est né Koseki, c’est une des compositions de ce dernier qu’on peut entendre. Voilà, c’était la minute train sponsorisée par Messire :D.
Au final, Yell s’en sort vraiment bien dans la catégorie asadora d’époque. Il ne révolutionne pas le genre mais tire bien parti du schéma des feuilletons du matin et parvient quand même à montrer une facette supplémentaire de cette période autour de la guerre tant vue. Le couple principal est très attachant et il y a assez de personnages secondaires autour d’eux pour conserver notre intérêt semaine après semaine. Globalement, le ton décalé réussi alors que ce n’est pas toujours évident avec un contexte d’époque et une histoire basée sur des personnages réels qui comporte aussi des moments dramatiques. La série peut être une bonne porte d’entrée dans l’univers des asadora si on apprécie la musique et la dimension historique, au même titre que Junjô kirari ou bien de Boogie Woogie, la production de l’automne 2023 dont je vous dirai pas mal de bien dans pas trop longtemps j’espère.
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